P. G. Maxwell-Stuart is a Lecturer in the School of History at the University of St. Andrews
A en croire la quatrieme de couverture, cette traduction anglaise de 2007 du Malleus maleficarum serait la premiere depuis 1928. Malheureusement, cette affirmation est inexacte, car en 2006, Christopher S. Mackay a publie aux Presses de l'Universite de Cambridge, en deux volumes, l'edition et la traduction integrales de cette oeuvre, accompagnees d'une introduction de pres de deux cents pages et d'un minutieux appareil de notes. Le propos de cette nouvelle traduction anglaise, la troisieme donc, est plus modeste : elle ne donne que des extraits de l'ouvrage (les passages omis etant alors resumes), l'apparat critique est reduit et l'introduction est relativement courte (38 p.) Le choix des extraits est judicieux, donnant un bon apercu des differentes questions traitees et permettant ainsi de se faire rapidement une idee correcte du traite. Les notes sont pertinentes, indiquant aussi bien les sources (notamment bibliques) que les choix du traducteur (dont certains sont discutables, comme par exemple, dans la deuxieme question 15 de la troisieme partie, la traduction de ubi sua habent maleficia abscondita par where they usually hide their protective amulets , ce que Mackay rend plus exactement par the situation where they have hidden their devices for sorcery - plus simplement encore, Armand Danet traduisait par la ou elles cachent leurs malefices ). On peut cependant se demander pourquoi P. G. Maxwell-Stuart prend pour texte de reference une edition du Malleus maleficarum, celle de Francfort en 1588, posterieure de plus d'un siecle a l'edition princeps (Spier, 1486-1487), alors meme qu'il existe des fac-similes de cette derniere. Mais, etant donne que le lecteur francophone dispose deja d'une bonne traduction dans sa langue, celle d'Armand Danet, Le Marteau des sorcieres, parue en 1973 chez Plon et depuis lors plusieurs fois reeditee (encore en 2005) chez Jerome Millon a Grenoble, c'est surtout l'introduction qui retiendra notre attention. Armand Danet introduisait sa traduction par une etude de plus de soixante-dix pages ( L'inquisiteur et ses sorcieres ); Mackay par une General introduction , une Introduction to the latin text et une Introduction to the translation , lesquelles formaient un ensemble de pres de deux cents pages; P. G. Maxwell-Stuart, pour sa part, se contente de trente-huit pages, format qui correspond bien a celui de l'ensemble du volume (moins de trois cents pages, alors que l'ouvrage de Danet en comptait pres du double, et celui de Mackay plus du quadruple). Cette introduction est divisee en cinq parties : les deux premieres ( The intellectual ambience of the Malleus et Magic in the fifteenth century ) traitent du contexte culturel dans lequel s'est inscrit le Malleus maleficarum; la suivante ( Heinrich Institoris and Jakob Sprenger ), des auteurs, presumes ou reels, du Malleus; la quatrieme ( The Malleus Maleficarum ), de l'ouvrage en lui-meme; la derniere ( The later history of the Malleus ), de la transmission et de la posterite du Malleus. Concernant le milieu intellectuel, P. G. Maxwell-Stuart insiste a juste titre sur le sentiment de menace d'heresie et de division qui regnait alors dans le christianisme occidental, particulierement chez les clercs. Il souligne ainsi, dans ce contexte, l'importance de caracterisation de la sorcellerie comme heresie, conception qu'il fait remonter a Nider (probablement au Formicarius et au Praeceptorum divinae Legis, l'un et l'autre des annees 1437-1438); toutefois, il faut remarquer que cette assimilation de la sorcellerie a une heresie, tributaire de l'emergence decisive de la notion de factum heriticale, etait deja presente, quoique contestee, dans la consultation de 1320 super questionibus de baptizacione ymaginibus et aliarum superstitionum (editee par Alain Boureau, Le Pape et les Sorciers, 2004) et dans la bulle de 1326-1327 Super illius specula de Jean XXII (Alain Boureau, Satan heretique, 2004). Il releve aussi que, pour nombre de ces derniers, les femmes etaient jugees davantage susceptibles que les hommes d'y succomber, mais, a la suite de l'importante etude de Walter Stephens, (Demon lovers, 2002), il tempere les recurrentes accusations de misogynie portees contre le Malleus en remarquant : que celle-ci y est circonscrite et que les femmes n'y sont pas totalement responsables de leur faiblesse native, a laquelle elles sont cependant capables de resister (pour une periode plus tardive, de 1590 a 1631, et dans une zone bien circonscrite, Eichstatt, en Franconie, Jonathan B. Durrant arrive a de semblables conclusions quant a la proportion massive de femmes, 80 %, dans les poursuites contre les sorciers : Witchcraft, Gender and Society in Early Modern Germany, 2007). Ce qu'avait d'ailleurs particulierement montre W. Stephens, c'etait que la demonologie savante des XVe et XVIe siecles avait eu pour moteur determinant un besoin de croire et de resister au scepticisme. Cet aspect est implicitement souligne par la presentation de la magie au XVe siecle que fait P. G. Maxwell-Stuart. En effet, ce dernier explique que sur la question alors controversee des chevauchees nocturnes et aeriennes des sorcieres, alors meme que le canon Episcopi du Decretum magistri Gratiani, reference obligee en la matiere, en niait formellement la possibilite, le Malleus en affirme tres nettement la realite et declare coupable d'errores hereticales ceux qui pretendraient le contraire (quitte a s'arranger avec le canon Episcopi en pretendant que ce qu'il nie, ce n'est pas la realite de ces chevauchees, mais le fait qu'elles seraient faites en compagnie de Diane et d'Herodiade : Malleus, pars 1, questio 1, responsio). Cette question resta toutefois encore debattue apres la publication du Malleus, ainsi qu'en temoignent la reticence et la prudence des tribunaux ecclesiastiques espagnols a l'accepter trente ans plus tard encore (Gunnar W. Knutsen, Servants of Satan and Masters of Demons, 2009). P. G. Maxwell-Stuart montre ensuite la pregnance dans le Malleus et dans les ouvrages similaires des questions liees a la sexualite, a la fertilite et notamment aux relations sexuelles entre humains et demons, et il rappelle alors l'hypothese de W. Stephens, que nous evoquions plus haut, selon laquelle cet interet traduirait chez les inquisiteurs le souci de contrebalancer leurs propres doutes en prouvant de la sorte, de maniere indubitable, la realite du monde spirituel. Il conclut enfin cette deuxieme partie sur la question du contrat entre les sorciers et les demons. On ne peut que regretter que ce point soit aussi succinctement traite, car il est au coeur des controverses medievales savantes sur l'efficacite des signes sensibles sacramentels ou magiques (controverses remarquablement exposees par Irene Rosier-Catach dans La Parole efficace, 2004); et, de fait, le Malleus, a la suite de Guillaume d'Auvergne (lui-meme tributaire en l'espece du De doctrina christiana d'Augustin) mais a la difference de Thomas d'Aquin, adhere bien a la theorie contractuelle de la causalite des signes sensibles (Malleus, pars 1, questio 2). La troisieme partie presente les personnalites de Heinrich Institoris et Jakob Sprenger; le premier relativement longuement, et en evitant avec bonheur une approche par trop psychologisante; le second tres brievement et en tenant pour desormais acquis qu'il ne fut pour rien dans la redaction du Malleus. Mackay a en revanche consacre un long developpement au role de Sprenger dans la composition du Malleus. Au terme d'une minutieuse analyse des indices internes et externes, il conclut, de maniere convaincante, que si Institoris fut bien le principal redacteur et instigateur du Malleus, Sprenger en a fourni l'armature et le materiau theoriques et conceptuels. La question reste donc ouverte. La quatrieme partie de l'introduction decrit la structure et resume le contenu du Malleus, dont le caractere composite (ce que Mackay avait releve a l'appui de sa these de la participation de Sprenger a l'ouvrage) est souligne : melange de discussions scolastiques (maladroitement qualifiees de Thomisitic , meme s'il est vrai que la premiere partie du Malleus est largement dominee par les references a Thomas d'Aquin, comme la seconde l'est par Nider et la troisieme par le Directorium inquisitorium d'Eymerich, quelque peu oublie par P. G. Maxwell-Stuart), d'anecdotes et d'exempla, de questions de procedure et de droit. Cette description est toutefois incomplete puisqu'elle ne fait pas etat des differentes pieces liminaires, lesquelles permettent pourtant de preciser la nature et la portee du Malleus. Il s'agit de : la bulle de 1484 Summis desiderantes d'Innocent VIII, qui mentionne nommement Institoris et Sprenger; l'Approbatio et subscripcio doctorum alme universitatis Coloniensis du 19 mai 1487, laquelle, bien qu'elle n'apparaisse qu'a partir de la troisieme edition du Malleus (1494), n'est certainement pas un faux et, qui, elle aussi, mentionne Institoris et Sprenger; l'Appologia auctoris in malleum maleficarum, qui, encore, mentionne Institoris et Sprenger, et, surtout, qui s'ouvre par une description proprement apocalyptique du temps, confirmant ainsi les notations faites en ce sens par P. G. Maxwell-Stuart. La derniere partie de l'introduction examine la posterite de l'oeuvre. P. G. Maxwell-Stuart y remet en cause l'influence de l'ouvrage. Il note ainsi que, malgre ses nombreuses editions jusqu'en 1669, il est cependant peu probable qu'un tres grand nombre d'exemplaires en aient ete produits, d'autant que d'autres traites sur le meme sujet, parfois en langue vulgaire, paraissaient et que les lois et reglements gouvernant les procedures des inquisitions locales etaient nombreux, complexes et pas toujours aises a accorder entre eux. On peut ajouter, avec Danet et Mackay, que l'interruption des reeditions entre 1523 et 1574 semble resulter d'un deplacement de l'interet des acteurs de l'inquisition vers d'autres objets que la sorcellerie, c'est-a-dire vers la Reforme. De fait, il semble que le Malleus n'ait effectivement pas suscite de poursuites contre les sorciers, mais, ce qui etait d'ailleurs son objet premier, les ait plutot accompagnees. Plus encore, Danet, a la suite de Joseph Hansen, a souligne que le Malleus en appelait a un relais des tribunaux ecclesiastiques par les juridictions civiles, or, ainsi que le montre l'etude de Jonathan B. Durrant (op. cit.) sur les proces en sorcellerie a Valence et a Barcelone de 1478 a 1700, c'est precisement la ou la justice civile est la plus forte que les poursuites et les condamnations pour sorcellerie sont les plus nombreuses et les plus severes; en revanche, la ou l'inquisition predomine, les procedures sont plus precautionneuses et aboutissent beaucoup plus rarement a des condamnations pour sorcellerie. Sans que l'on puisse forcement generaliser ce constat a l'ensemble de l'Europe occidentale, la piste vaudrait d'etre exploree. Enfin, l'introduction se conclut par une breve evocation de la reception du Malleus, au XXe siecle, particulierement en monde anglophone avec la premiere traduction anglaise de Montague Summers, dont il montre a la fois le parti-pris politique (l'assimilation des chasses aux sorcieres avec la revolution bolchevique) et les erreurs de traduction - ce pourquoi il etait besoin, selon son auteur, de cette nouvelle traduction anglaise. Dans le cadre de la reception paradoxale du Malleus a la fin du XVe et au XVIe siecle, un point meriterait peut-etre d'etre souligne : les editions italiennes du Malleus sont tres localisees (Venise) et tardives (1574-1579); or, la premiere parution du Malleus coincide presque exactement avec les nouveaux developpements de la magie savante dans les milieux de l'humanisme florentin (publication du Pimander ficinien en 1471, des pichiennes Oratio de hominis dignitate et des Conclusiones en 1486, de l'Apologia de Pic en 1487, du De vita coelitus comparanda de Ficin en 1489, vite accompagne, lui aussi d'une Apologia). Mais les reponses a cette promotion d'une magie pretendument naturelle, et qui pourtant ne craignait pas, par bien des aspects, de penetrer dans le domaine fort suspect de la magie astrale ou de la magie invocatoire, si elles puisaient volontiers aux memes sources que celles du Malleus maleficarum (Jerome Rousse-Lacordaire, Une Controverse sur la magie et la kabbale a la Renaissance, 2010), ne citaient pas, a notre connaissance, ce dernier ouvrage. Peut-etre faut-il voir une cause de ce silence, voire de cette ignorance, dans le fait que cette magie est precisement une magie savante que ses contradicteurs ont bien du mal a rapporter a la magie populaire des sorciers et sorcieres que denoncent tout particulierement le Malleus : la magie promue, a mots plus ou moins couverts, dans ces milieux erudits echappe largement aux categories de la demonologie de la fin du Moyen Age qui sont encore celles du Malleus. On pourrait en dire autant de la magia naturalis vantee, a la meme epoque, non plus par des platoniciens, mais, cette fois, par des aristoteliciens comme Agostino Nifo, Pietro Pomponazzi ou Giovanni Battista della Porta. En bref, ces transformations dans la theorisation de la magie (et il y en eut d'autres ensuite) n'expliquent-elles pas, elles aussi, les limitations de l'influence pratique du Malleus que soulignent justement P. G. Maxwell-Stuart ? On sera donc reconnaissant a ce dernier de nous inviter, par sa publication de larges extraits du Malleus maleficarum, a nous poser ces questions. A d'autres d'y repondre, car il a, quant a lui, largement rempli son objectif : en peu de pages, donner a ce texte un acces relativement aise et complet qu'une legende noire barre encore trop souvent. Jerome Rousse-Lacordaire -- Jerome Rousse-Lacordaire Archives de Sciences Sociales des Religions 20120201